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Ali Cherif MEDEBBER
14 août 2014

le retour des soldats de la Grande Guerre

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Extrait du livre « Oued el hammam ou la rivière aux eaux chaudes » 

 

   «  Les années entres les deux Grandes Guerres furent les plus paisibles dans la vallée. Le rapatriement des soldats de la première guerre créa une grande ambiance dans les douars. Chaque soir les paysans se regroupaient chez le nouveau venu et écoutaient les longs récits interminables sur la vie de soldat. Les paysans firent connaissance pour la première fois des nouvelles guerres ne ressemblant en rien aux anciennes. Surtout des armes nouvelles utilisant des gaz suffocants qui vous coupent le souffle et vous tuent. Nous avons vu des soldats morts dans des tranchées sans aucunes blessures visibles, alors nous sûmes plus tard qu’ils ont été bombardés avec ces gaz là. Ils découvrirent les noms des villes françaises et allemandes et leurs prononciations ajoutaient aux récits quelque chose de magique quand il s’agissait de décrire la beauté de la ville lors du passage des troupes et les accueils triomphants par les femmes longeant les rues principales des villages jetant des fleurs aux soldats qui partaient vers le front. Tandis que d’autres noms sont prononcés avec une tonalité différente laissant deviner ce qui va suivre et les paysans prirent connaissance des affrontements et de la guerre des tranchées, des jambes et bras arrachés par les obus, des corps déchiquetés, et des centaines de corps sans noms et sans vies, des deux camps éparpillés, ainsi le nom de la ville de Verdun fut inoubliable et restera graver dans leurs mémoires. En sortant de chez eux, les paysans diront entre eux ; t’as vu Si Youcef comme il a changé, il n’est plus le même, il y a quelque chose en lui je ne sais quoi, il bouge tout le temps. Un autre dira ; il ne s’est absenté que cinq années et n’a pas reconnu Si Benali, je trouve cela bizarre, puis il n’arrête pas de tousser, je crois moi qu’il est malade le pauvre, c’est peut être ce tabac qu’il roule sans arrêt, bref l’essentiel s’est d’être retourné chez lui. Mais tous restèrent ébahis par le nom des armes que le soldat décrivait  et gagnait malgré eux leur respect et leur considération.

      D’ailleurs ils feront partie des personnalités conviés par la municipalité du village lors de la commémoration de la journée de l’Armistice. Chaque mois de novembre, tout heureux de se promenaient entre les invités leurs poitrines décorées de médailles. Parfois, par un mauvais français, ils essayaient de raconter l’histoire de chaque médaille et les gens découvraient en face d’eux de vrais héros. Même Si Kouider assistait à ces fêtes malgré ses béquilles car sa jambe fut enterrée dans un tranché aux environs de Verdun. Ils pleuraient en se rappelant leurs compagnons d’armes et tous ceux qui sont restés là-bas dans les cimetières des villes du front, et avant la fin de la cérémonie ils s’alignaient et chantaient à pleine voix:

Nous étions au fond de l'Afrique

Embellissant nos trois couleurs,

Et sous un soleil magnifique,

Retentissait ce chant vainqueur :

En avant ! En avant ! En avant !

 

C'est nous les Algériens,

Qui venons de bien loin.

Nous venons de la colonie,

Pour défendre le pays.

 

Nous avons abandonné

Nos parents nos aimées,

Et nous avons au cœur,

Une invincible ardeur,

 

Car nous voulons porter haut et fier

Ce beau drapeau de notre France altière :

Et si quelqu'un venait à y toucher,

Nous serions là pour mourir à ses pieds.

Roulez tambour, à nos amours,

Pour la Patrie, pour la Patrie

Mourir bien loin, c'est nous les Algériens !

 

   Chaque années lors de ces fêtes, ils se retrouvaient comme au front sans aucune distinction, ces rendez-vous ravivaient en eux un sentiment qui dépassait tout entendement, d’avoir fait quelque chose ensemble de grandiose. Si les  politiciens inscrivaient tous ces actes de bravoure dans un quelconque discours sur le « Rôle des colonies pour la libération de la France », eux ne savaient même pas ce que veut dire le mot colonie ou indigène sauf qu’ils étaient ensemble colorés aux couleurs de l’humanité luttant pour la liberté, le respect et la dignité et empêcher les Allemands de conquérir les villages et les villes où les enfants et les femmes attendaient leur retour.

   Puis il y a d’autres qui ne donneront signe de vie qu’après quelques années. Ils feront une nouvelle vie là-bas comme c’est le cas de Si Ahmed, il fut capturé et emprisonné et à sa libération il retourna chez une famille près des frontières où pendant une halte des troupes qui dura plusieurs mois, fit la connaissance d’une jeune fille du village. Ils ne tarderont pas à se marier et quand ses nouvelles parvinrent à son père, il avait déjà une jolie petite fille qu’il tenait dans ses bras sur la photographie qu’il envoya à ses parents.

     Tant bien que mal les paysans s’habituèrent à cette vie qui durait. La plupart du temps, ils vivaient entre eux, rares sont les occasions où ils sentaient le besoin de fréquenter les Français. Même s’ils avaient participé à cette victoire, le changement à leur égard ne fut pas vraiment remarquable du moment que les mêmes pratiques d’avant-guerre continuèrent. Pour prendre l’autocar par exemple, sans aucune consigne ni contrainte et par habitude, la portière avant était destinée aux Français, la portière arrière pour les indigènes, à l’intérieur du véhicule, une chainette au milieu divisait l’autocar en deux parties, des places réservées aux deux catégories de voyageurs d’après le prix du billet où une différence de un ou deux francs partageait les places avants et arrières.

     Tout le monde s’y habitua à ces pratiques et ainsi deux mondes vivaient l’un en face de l’autre et ne se rapprochaient que rarement, souvent en cas de catastrophes ou de guerres, qui sitôt terminées la vie reprendra comme avant. Naturellement sans aucune contrainte, on dessina la place des indigènes et rares sont ceux qui franchissaient l’espace qui leur était réservé. Même les enfants qui fréquentaient l’école coloniale réservée aux indigènes, la plupart d’entre eux ne dépassaient pas souvent le primaire. Il y a ceux qui choisiront la vie là-bas en Métropole qui d’ailleurs n’était pas aussi meilleure pour beaucoup d’entre eux.

   Ainsi un nouveau monde se construisait, le monde du colonialisme. Sur l’autre rive, beaucoup de choses avaient changés et un monde nouveau s’est construit, on écrira partout « Liberté – Egalité – Fraternité ». Dans les grandes villes des organisations se mettaient en places pour défendre les ouvriers. Ils n’avaient plus peur des patrons et demandaient volontiers des augmentations de salaire sans craindre d’être renvoyer. Et puis il y avait aussi des femmes qui ont commencé à travailler dans les usines et participaient elles aussi aux manifestations qui se faisaient chaque début du mois de mai. Seulement ici chez nous rien de cela n’eut lieu. Les seuls qui se hasardèrent un jour jusqu’au village de Dublineau, venus de la ville de Mascara à une vingtaine de kilomètres, essayant de faire un attroupement devant la mairie furent chasser sans jamais revenir. Les colons ne cessaient de répéter : « personne ne nous apprendra comment faire travailler nos ouvriers, surtout pas ces fainéants  en chemises blanches ».   

     Les colons, maitres des lieux, aidés de quelques philosophes illuminés sur les secrets des races humaines et leurs classements sur l’échelle de l’intelligence construiront l’Algérie française, un nouveau pays fascinant comme le montraient si bien les affiches en Métropole. De belles oasis dans le Sud, et de belles fermes peuplaient tout le Nord du pays, des oliviers, des orangerais et des vignes plantées à perte de vue garnissaient les plaines et les terres fertiles des vallées, laissent deviner un travail acharné et quotidien durant toute l’année. Les paysans quittaient leurs gourbis bien avant le levé du soleil et ne revenaient qu’après le couché. Souvent, ils sont accompagnés de leurs enfants arrivés en âge de faire quelques besognes à la ferme. Quand les fermes sont à quelques kilomètres des douars et villages, et que le nombre de travailleurs est supérieur aux besoins, le colon sélectionnera la main d’œuvre parmi les premiers arrivés et les plus forts. Un jour que je n’oublierai pas de si tôt, nous racontera Si Hocine; j’habitais dans un douar aux environs de la ville d’Oran, j’ai appris qu’il y avait du travail dans une ferme à Misserghine à une dizaine de kilomètres, un village en allant vers l’Ouest, j’ai fait tout le chemin à bicyclette mais je ne fus pas retenu. Après avoir choisi quelques uns parmi nous, le colon regarda sa montre et nous dira : « vous avez un quart d’heure pour quitter la ferme et je lâcherai les chiens » alors vous pouvez imaginer ensuite la scène ; nous courions dans l’obscurité en trébuchant dans les labours, essayant de regagner la sortie avant les chiens. Cette scène restera gravée dans ma mémoire. 

    Quand même parmi les colons, les paysans retiendront les noms de quelques uns, leurs noms feront le tour des douars de toute la région par leurs relations particulières avec les indigènes. A l’infirmerie de la ferme on soignait les malades, femmes et enfants en maintes occasions, comme le colon Mr Gilles ramenait le docteur du village. Il recevait les paysans et leur fournissait même quelques médicaments nécessaires aux premiers soins. Ils assistaient aux fêtes annuelles organisées dans les douars et s’asseyaient parmi eux sans distinction. Mais cela étaient mal accepté par les autres colons, et seront traités de communistes pour mettre fin aux commentaires et pour ne pas être cité en exemple. Ils disaient celui là, son père était de l’Internationale. »

 

 

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